Traitement foliaire d’un vignoble avec du talc: résultats.

Résultats sur 4 ans de traitement, voir la présentation de Georges Siegenthaler au SITEVI  Montpelier 2013 en cliquant ici.

TRAITEMENT FOLIAIRE D’UN VIGNOBLE

AVEC DU TALC INVELOP F

Georges Siegenthaler et Jean-Marie Loriaud

Domaine de Vens-le-Haut, DVH, rte du Crêt 772, 74910 Seyssel, France

www.domainedevens.com

Adresse pour la correspondance : Georges Siegenthaler, contact@domainedevens.com

BUT DE L’ETUDE : utilisation des propriétés du talc Invelop F pour lutter contre deux maladies cryptogamiques graves de la vigne : le mildiou et l’oïdium

INTRODUCTION

Les argiles, en général, sont déjà utilisées en agriculture pour les traitements foliaires, mais leur indication d’utilisation ne sont pas très claires et leur efficacité est faible. On recourt communément aux argiles hydrophyliques que sont les alumino-silicate (bentonites, kaolinites ou autres). La kaolinite calcinée aurait un effet préventif contre le botrytis et contre l’apparition des larves de la cicadelle verte ! Tous ces résultats sont suggérés et restent a être confirmés.

Le talc est aussi une argile. C’est un silicate de magnésium hydraté avec des propriétés hydrophobiques et organophyliques par opposition aux autres argiles qui sont hydrophiliques. Le talc tel quel pose des problèmes de mise en suspension dans les bouillies aqueuses. De part son procédé de fabrication, qui n’altère aucunement son caractère naturel, le grade Invelop F garantie une parfaite mise en suspension dans les bouillies aqueuses.

Les propriétés hydrophobiques du talc sont uniques à cette argile et expliquent pourquoi il est utilisé : (i) dans l’industrie pétrolière pour faciliter l’extraction du pétrole brut, (ii) dans l’industrie de la peinture car il se mélange intimement avec les solvants et les pigments et permet un bon recouvrement, (iii) en dermatologie car ses pouvoirs asséchants rendent la peau plus douce et permettent de diminuer les irritations des peaux abimées en adsorbant le sébum et la sueur, (iv) en cosmétologie comme fixateur de parfum dans certaines préparations et finalement (v) dans la floculation des bactéries dans les bassins de décantation des eaux usées.

Plus récemment en agriculture, le talc en pulvérisation aqueuse est aussi proposé pour lutter contre l’échaudage des fruits (coup de soleil) en formant une barrière physique au rayonnement solaire.

LE CHOIX DU TALC POUR LES TRAITEMENTS PHYTOSANITAIRES

Effet adsorbant et asséchant. L’utilisation du talc comme agent phytosanitaire est intéressante pour ses propriétés hydrophobiques et surtout par analogie à son utilisation en dermatologie. En effet, la peau a une barrière lipidique, des pores sudoripares ainsi que des glandes sébacées tous impliqués dans la physiologie de la peau. La feuille végétale possède également une surface cireuse lipidique (cuticule) et contient aussi des pores (stomates) qui sont impliqués dans les échanges gazeux (CO2,O2, H2O) nécessaires à la photosynthèse et à la respiration de la plante. Une flore complexe de micro-organismes (bactéries, champignons, levures) vit en équilibre sur la peau et fonctionne comme première barrière de protection. Sur la surface de la feuille vit également une flore complexe et parfois pathogène sécrétant des substances agressives pour, par exemple, perforer les parois des cellules. Le talc pourrait donc fixer et inerter certains micro-organismes ou des substances sécrétées par ceux-ci pour protéger la plante contre leur action altérante (pectinases ou autres enzymes perforants).

Ainsi les spores de l’oïdium (20 x 12 microns) qui sont à la surface de la feuille, forment à maturité des tubes de germination qui vont pénétrer dans les cellules végétales en perforant leur paroi à l’aide d’enzymes pectolytiques. Ces tubes très fragiles sont de l’ordre de 10 microns. Selon leur composition chimique ils pourraient être aussi adsorbés par les particules de talc (action floculante) qui bloqueraient leur développement et empêcheraient leur invasion tissulaire.

Effet stérique. Les dimensions des spores ou des organes infectieux du mildiou (zoospore biflagellé 7 x 4 microns) qui pénètrent par les stomates de la feuille pour proliférer dans les tissus sont du même ordre de grandeur que les particules de talc (en moyenne de 5 – 4 microns, top size 20 microns). On aurait un effet stérique en augmentant le chemin de déplacement des zoospores vers les stomates. Ces zoospores sont fragiles et plus le chemin est long vers les stomates plus leur taux de mortalité est grand.

Le signal attirant les zoospores vers les stomates n’est pas connu, mais il a été suggéré que l’éthylène, hormone végétale, pourrait être un acteur. Les propriétés séquestrantes du talc pour les substances lipophiles comme l’éthylène ou pour toutes les autres molécules signals pourraient aussi jouer un rôle dans le contrôle de sa concentration au voisinage du stomate et perturber l’avancement des zoospores.

Effet rémanent. Les propriétés hydrophobiques du talc et du feuillage devraient provoquer une cohésion très forte entre eux et donc diminuer le lessivage du talc par la pluie par rapport aux autres argiles. L’effet thérapeutique du talc pourrait être plus persistant dans le temps.

CONDITIONS DES TRAITEMENTS FOLIAIRES

Le talc Invelop F, humidité relative 13%, de Imerys Talc de Luzenac (groupe Imerys)est mis en suspension à 30% dans de l’eau . Cette suspension concentrée est ensuite ajoutée dans les bouillies de traitement pour obtenir une concentration finale de 2.5%. En moyenne, 250 litres de bouillie sont utilisés par ha, ce qui fait 6.25 kg de talc par traitement et par ha. Il faut maintenir une agitation constante dans le pulvérisateur pour empêcher les particules de talc de sédimenter. Un dosage de talc à 3 % obstrue les tuyaux du pulvérisateur. La bouillie de traitement standard du DVH et agréée en culture biologique contient des sels minéraux, en absence totale de sels de cuivre, et 2 % de soufre élémentaire mouillable (Biofa). Cette bouillie est utilisée depuis 3 ans dans le cadre de nos recherches de suppression des sels de cuivre en viticulture. Dans les essais décrits ci-dessous, le talc à 2,5% a été suspendu dans la bouillie standard du DVH pour assurer de manière certaine une protection du vignoble. Durant la campagne 2011, 6 traitements standards du DVH en foliaire ont été réalisés au total, dont 5 traitements contenant du talc. La surface testée était de 3 ha, répartis sur 4 sites différents.

RESULTATS

Dans notre région, la pression des maladies cryptogamiques dans l’année 2011 était relativement faible jusqu’en juillet puis très forte jusqu’aux vendanges. De manière générale, l’ensemble de notre vignoble (7 cépages différents: mondeuse noire, pinot noir, gamay, molette, altesse roussette, aligoté, jacquère) a été relativement bien protégé. Le feuillage a été touché par le mildiou et très faiblement par l’oïdium. Les grappes ont été aussi légèrement touchées par le black rot et l’oïdium et plus faiblement par le mildiou. L’état sanitaire du vignoble traité selon le protocole ci-dessus était pratiquement équivalent à celui des vignobles voisins traité avec des produits conventionnels. Les grappes des 7 cépages étaient de très bonne qualité et les rendements étaient ceux fixés au départ de la saison. Les vins sont en cours d’élevage et sont dans l’ensemble excellents.

L’état sanitaire des parcelles du vignoble a été estimé par un technicien en viticulture de la Chambre d’Agriculture des Savoie et par les deux vignerons du domaine.

REMARQUES ET DISCUSSION

Les conditions expérimentales de nos essais ne nous permettent pas de tirer des conclusions définitives sur le rôle que pourrait jouer le talc Invelop F dans la protection sanitaire d’un vignoble. Nous sommes des producteurs de vin avant toute chose et notre idée était de faire une expérience préliminaire du comportement du talc in vivo, et non de faire une étude de validation du produit seul. Nous avons pu faire néanmoins quelques observations intéressantes qui pourront donner des pistes de recherches plus précises.

Friabilité du talc Invelop F. Ce talc forme une couverture blanchâtre très nette sur le feuillage et reste fixé durant plusieurs semaines, même après des pluies abondantes. Dans nos essais, nous avons aussi constaté que le talc Invelop F, en grande concentration, forme une couche poreuse non-compacte qui se désagrège facilement au toucher tout en collant fortement sur les feuilles. Dans ces conditions, le talc Invelop F ne devrait pas trop altérer les échanges gazeux par les stomates des feuilles nécessaires au bon fonctionnent du métabolisme de la vigne. Contrairement à la bentonite qui forme sur les feuilles un ciment dur et compact qui pourrait boucher les orifices des stomates.

Séquestration du soufre par le talc Invelop F. Nous avons aussi constaté que l’odeur du soufre en présence de ce talc était perceptible dans les vignes beaucoup plus longtemps (plusieurs jours) par rapport au soufre seul. Ceci pourrait s’expliquer par l’adsorption et la séquestration de soufre vapeur par le talc, qui pourrait le restituer plus lentement sous forme de vapeur en fonction de la température ambiante. C’est sous forme vapeur que le soufre est actif envers les parasites et cette propriété du talc, si elle est vérifiée, pourrait être utilisée pour diminuer les doses de soufre dans les traitements contre l’oïdium et l’érinose. En effet, ces traitements utilisent des quantités homologuées très importantes de soufre mouillable (10 kg/ha/traitement) et dans les cas de forte pression d’oïdium le poudrage avec la fleur de soufre est utilisée à raison de 25 kg/ha/traitement. De tels traitements ne sont guère respectueux pour l’environnement!!

Nos traitements au soufre sont déjà très faibles (4 kg/ha/traitement) en présence de talc et nous n’avons pas eu de problèmes d’oïdium, bien que certaines parcelles de 2010 aient été fortement contaminées. Il est probable que le talc a joué un rôle qu’il faudrait étayer. Cependant, nous sommes convaincus qu’en diminuant encore de moitié les doses de soufre utilisées ci-dessus, c’est-à-dire 2 kg/ha/traitement en présence de talc à 2.5%, les effets protecteurs seront maintenus. Nous sommes prêts à faire cet essai en 2012 sur notre vignoble.

CONCLUSION

Les traitements qui ont été utilisés pour protéger ce vignoble sont des traitements biologiques doux (pas de sels de cuivre ni de fongicides de synthèse) et les résultats de la protection était satisfaisants. S’il est difficile de déterminer le rôle exact du talc Invelop F et sa contribution à l’efficacité globale des traitements, l’impression générale des expérimentateurs est que ce talc est bien toléré par la vigne. Les raisins ont pu mûrir à maturité malgré l’écran solaire formé par le talc sur les feuilles. Nous avons maintenant un recul de plus de 3 ans sur nos essais de traitement sans utilisation de cuivre et 2010 est la première année où le talc Invelop F est utilisé. Bien que toutes les années sont différentes, nous pensons néanmoins que le talc Invelop F permettrait de diminuer les doses de soufre. Pour son action spécifique sur les champignons mildiou et oïdium, il serait en outre tout à fait justifié de faire des essais avec le talc Invelop F seul.

REMERCIEMENTS

Nous remercions sincèrement Monsieur Yannick Rabot, Imerys Talc à Toulouse, France pour les discussions intéressantes sur ce projet et pour mise à disposition du talc Invelop F pour cet essai. Nos remerciements vont aussi a Sébastien Cortel de la Chambre d’Agriculture des Savoie pour l’analyse de l’état sanitaire du vignoble.

Seyssel, le 21 mai 2012

Pour suivre une discussion avec les internaute sur lapassionduvin.com

Auteur: GS

 

Etat du vignoble en fin 2014:

C’était une année pénible et fatigante en ce qui concerne les traitements, mais très belle récolte.                              Juste pour annoncer que c’est la cinquième année consécutive que nous n’avons aucune attaque d’oidium sur tout notre vignoble totalement enherbé, localisé sur 3 lieux différents et qui comporte 8 cépages différents : mondeuse noire, pinot noir, gamay, altesse (roussette), molette, aligoté, jacquère et roussanne. Observation certifié également par le technicien de la chambre d’agriculture des Savoie Sébastien Cortel. Nous n’utilisons que le traitement au talc et soufre mouillable contre l’oïdium. Seul changement, nous avons diminué la concentration du talc Invelop F à 2% au lieu de 2.5% . Celle du soufre mouillable varie entre 1-2 %/traitement. En 2014 ce sont 12 traitements qui ont été effectués à raison de 200L/ha.

Auteur GS